Il y a quelques mois de cela, le département des ressources humaines de Santé Intégrée me contactait pour me demander si j’étais intéressé pour participer à la formation « Maximizing Your Leadership Potential Program » à Bruxelles, en Belgique, organisée par le Center for Creative Leadership. En tant que responsable de la recherche et à la tête d’une équipe de trois personnes, c’était pour moi l’occasion de monter en compétences en matière de management ; pour mon équipe, mon organisation et moi-même. J’ai ainsi postulé au programme, été accepté et reçu une bourse réduisant le coût de la formation. Puis, est venu le moment de la demande de visa, qui, sans surprise, fût refusée. J’ai donc été sélectionné à une formation compétitive, mais je n’ai pas pu me rendre à Bruxelles.
Des inégalités en matière de visas
Ce n’est malheureusement pas la première fois que cela m’arrive. Ni à moi et ni à tant d’autres venant de la région subsaharienne. En 2019, j’ai été invité à participer à un événement parrainé par The Network : Towards Unity for Health (TUFH) and Flinders University sur le thème de la responsabilité sociale. Fier d’avoir été choisi pour représenter mon organisation, la réalité m’a vite rattrapée. Après deux demandes de visa successives et deux rejets, un autre collègue et citoyen américain, fût envoyé à ma place. En 2018, Maina Waruru avait déjà évoqué les difficultés rencontrées par les chercheurs du Sud Global pour voyager pour des raisons professionnelles. Plus récemment, la directrice adjointe de Santé Intégrée, Anita Kouvahey-Eklu, a également été dans l’impossibilité de se rendre à une remise de prix reconnaissant son travail, sa demande de visa ayant été rejetée.
Les formations et évènements mondiaux organisés en Amérique du Nord et en Europe restent inaccessibles pour une grande partie de la population mondiale – une population qui non seulement mérite d’être présente, mais qui a beaucoup à apporter. Mes demandes de visa pour l’espace Schengen m’ont été refusées sous prétexte que je n’étais pas « réellement » un voyageur. La crainte était que je ne retourne pas au Togo et que j’use de l’occasion pour rester définitivement en Europe. Cette situation est frustrante. Car les autorités européennes présument qu’une personne Africaine effectuant une demande de visa est nécessairement une personne à la recherche de meilleures opportunités économiques en Europe. L’idée qu’un jeune Africain comme moi puisse être un professionnel ou un expert poursuivant des objectifs de carrière sérieux n’est même pas envisagée.
Soutenir le développement de carrière dans un contexte d’inégalités
C’est dans ce contexte inégalitaire que Santé Intégrée évolue. C’est une organisation qui valorise ses employés et comprend qu’investir dans leur potentiel est bénéfique pour tout le monde. C’est pourquoi nous mettons officiellement en place une culture de l’apprentissage dans toute l’organisation, en allouant des fonds à la formation des employés. C’est en consacrant du temps et des ressources au développement professionnel que nous apprenons, établissons des liens et partageons nos expériences. C’est une question de croissance personnelle et professionnelle et une opportunité à laquelle nous devrions tous avoir accès quel que soit notre nationalité.
J’ai rejoint Santé Intégrée en janvier 2017 en tant que stagiaire. À l’époque, je terminais mon master en sociologie à l’Université de Lomé et je me préparais activement à la soutenance de ma thèse de doctorat sur les défis des technologies de l’information et de la communication dans le contexte universitaire. J’ai rapidement réalisé que Santé Intégrée valorisait les individus et croyait en eux. Au-delà de sa mission de fournir des soins de santé primaires de qualité à tous, l’organisation s’engage à former les leaders de demain. Chacun, indépendamment de la couleur de sa peau, de son ethnie, de sa religion, de son sexe, de son identité ou de son orientation sexuelle, est valorisé et habilité à atteindre son plein potentiel. Récemment, l’un de nos agents de santé communautaire a pris la parole lors de la conférence internationale sur la santé publique en Afrique. Tout cela pour dire Santé Intégrée est un endroit où il fait bon travailler, non seulement parce qu’il y a des collègues dévoués et une excellente culture de travail, mais aussi parce qu’on nous donne les moyens de réaliser nos ambitions.
Pourtant, malgré les efforts déployés par Santé Intégrée pour investir dans l’humain, la dynamique de pouvoir entre les pays à haut et à faible revenu joue encore un rôle essentiel dans l’aggravation des inégalités et entrave à l’accès aux opportunités. Cela maintient la domination du Nord global dans la recherche, la science et les autres secteurs d’activités économiques. Par conséquent, ce sont les personnes des pays à haut revenu qui fixent l’agenda mondial de la recherche et du financement. C’est un jeu à somme nulle. La communauté scientifique internationale est privée d’une grande richesse de connaissances et de contributions, tandis que beaucoup d’entre nous se voient refuser l’accès à des opportunités qui pourraient servir nos communautés et nos pays.
Tout n’est pas perdu
Ces revers auraient pu en décourager plus d’un, mais pas moi. Je suis toujours heureux de faire partie d’une organisation qui se soucie autant de ses employés. Santé Intégrée a compris que pour accomplir sa mission, elle a besoin de talents, et le talent est quelque chose que l’on cultive, que l’on fait grandir. Au-delà de son combat pour la santé des mères et des enfants au Togo et partout ailleurs, il y a un autre combat sous-jacent : le développement humain. Le meilleur exemple en est la manière dont les agents de santé communautaires – pour la plupart des femmes venant des zones rurales du Togo – ont atteints une independence économique et sociale grâce à leur position de prestataires de soins de santé.
Tout cela me rend fier de travailler pour Santé Intégrée, malgré les défis qui existent et qui échappent à notre contrôle. Je suis fier de travailler pour une organisation qui donne du pouvoir aux individus et qui continue à m’offrir de nouvelles opportunités de développement. J’encourage toutes les autres organisations à faire de même. J’ai l’espoir que, par le nombre, nous parviendront à ouvrir, à toutes et à tous, les portes rigides de cet environnent international dans lequel nous évoluons pour permettre aux leaders de demain de s’épanouir.